Ce père...

J'ai manqué le rendez-vous quelques jours sur le blog, désolée, mais mon père et revenu. Pas chez moi, mais dans ma tête. Quand il revient dans ma tête, je ne peux pas faire grand chose. Si ce n'est attendre, attendre qu'il s'en aille.
Je suis retournée à la ferme, la "maison" dans laquelle j'ai grandi pendant 25 années de ma vie, avec mon docteur, pour récupérer encore des affaires à moi, que j'avais laissé dans ma chambre.
La ferme est isolée dans la campagne. En face, on voit un grand cimetière militaire, avec une colline sur le côté et les bois, au fond, sur la droite, où on chassait souvent en étant plus jeunes, avec mon père. Personne ne venait jamais à la ferme, les seuls gens que je voyais étaient les gens de l'entretien pour le cimetière militaire, qui passaient par un autre chemin, loin de la maison. A chaque fois que je regarde la colline, ça me fait quelque chose dans le ventre...

Je dis mon père est revenu parce que j'ai retrouvé un dessin sur le dessus d'une armoire (je les cachais la plupart du temps pour pas que mon père les trouve). J'avais déjà fait le même genre, je l'avais donné à mon docteur. Je crois qu'il date de l'âge de mes douze ans, environ, je ne sais plus vraiment mais à comparer avec les autres, oui, ça doit être ça, 12 ans.
C'est une douche, avec des couteaux qui sortent de l'eau. Je me rends compte que c'est compliqué de vous écrire ça moi-même. Je ne sais pas comment le dire, je vais essayer, désolée si ce n'est pas clair.
Avant la thérapie avec le docteur, je ne savais pas ce que ça voulait dire, parce qu'il y avait plein de choses de ma jeunesse dont je ne me souvenais pas. Des épisodes douloureux. Cette histoire de douche en faisait partie.
Avec la thérapie, j'ai retrouvé beaucoup de mes souvenirs.  Mon père, il me punissait en m'arrosant avec de l'eau glaciale ou très chaude. Parfois, on pouvait choisir nous-même chaud ou froid. Parfois, on ne pouvait pas. Des fois, c'était plusieurs fois par semaine. Ce n'était pas particulièrement violent ou douloureux, mais c'était plutôt humiliant. Mon père n'a jamais été violent, et il nous aimait vraiment beaucoup. Le seul hic, c'est qu'il était un peu "dérangé". J'imagine tout de suite les questions dans votre tête. Mon père n'a jamais fait le moindre attouchement ou quoi que ce soit. 

 
La punition de la douche, c'est ce que représentent les couteaux sur le dessin que j'ai retrouvé. J'apprendrai bientôt à mettre des dessins sur le blog.
Il y a quelques temps encore, je ne pouvait plus entendre de l'eau couler sur de l'émail ou des surfaces dures. Mais c'est passé.

Mon père avait 32 ans quand il a couvert la guerre du Liban, et c'est de là-bas qu'il n'est plus jamais revenu pareil. Il y a eu un massacre là-bas, dans des camps palestiniens, en 1982, il a vu des choses, des gens, des enfants morts. Je suis née quelques jours après son retour en France, nous avons alors déménagé dans le Nord. A moi, à ma mère, il n'en a jamais vraiment parlé de ce qui était arrivé là-bas, il aimait pas parler de son passé, ça l'énervait toujours et il se renfermait sur lui-même.
Je ne veux plus parler de ça pour l'instant.

J'entends des gens marcher dans ma rue, il y a des courageux à Boulogne, ils remontent de la plage avec des combinaisons et des planches à voile. Peut-être que je devrais apprendre à nager, mais, même si je n'ai plus vraiment peur de l'eau, je ne me sens pas vraiment prête. Dans quelques mois, peut-être. Ce serait dommage d'habiter si près de l'eau sans jamais pouvoir en profiter.

Al